Léo Ferré
L’Horloge
Horloge ! dieu sinistre, effrayant, impassible
Dont le doigt nous menace et nous dit : « Souviens-toi !
Les vibrantes Douleurs dans ton cœur plein d’effroi
Se planteront bientôt comme dans une cible ;

Le Plaisir vaporeux fuira vers l’horizon
Ainsi qu’une sylphide au fond de la coulisse ;
Chaque instant te dévore un morceau du délice
À chaque homme accordé pour toute sa saison

Trois mille six cents fois par heure, la Seconde
Chuchotе : Souviens-toi ! — Rapide, avec sa voix
D’insеcte, Maintenant dit : Je suis Autrefois
Et j’ai pompé ta vie avec ma trompe immonde !

Remember ! Souviens-toi ! prodigue ! Esto memor !
(Mon gosier de métal parle toutes les langues.)
Les minutes, mortel folâtre, sont des gangues
Qu’il ne faut pas lâcher sans en extraire l’or !

Souviens-toi que le Temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher, à tout coup ! c’est la loi
Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi !
Le gouffre a toujours soif ; la clepsydre se vide

Tantôt sonnera l’heure où le divin Hasard
Où l’auguste Vertu, ton épouse encor vierge
Où le Repentir même (oh ! la dernière auberge !)
Où tout te dira : Meurs, vieux lâche ! il est trop tard ! »