Léo Ferré
De toutes les couleurs
De toutes les couleurs
Du vert si tu préfères
Pour aller dans ta vie quand ta vie désespère
Pour s’enfuir loin du bruit quand le bruit exagère
Et qu’il met un champ d’ombre au bout de ton soleil
Quand les parfums jaloux de ton odeur profonde
S’arrangent pour lancer leurs signaux à la ronde
Et dire que les bois vertueux de l’automne
Sont priés de descendre et de faire l’aumône
De leur chagrin mis en pilule et en sommeil

De toutes les couleurs
Du bleu dans les discours
Et dans les super ciels qu’on voit du fond des cours
Avec des yeux super et quand on voit l’Amour
Lisser ses ailes d’ange et pliant sous l’orage
Quand les gens dérangés par la moisson du rêve
S’inquiètent de savoir comment les idées lèvent
Et comment l’on pourrait peut-être leur couper
Les ailes et la vertu dans le bleu de l’été
Quand naissent les idées avec la fleur de l’âge

De toutes les couleurs
Du jaune à l’étalage
Et dans la déraison quand Vincent la partage
Quand la vitrine du malheur tourne la page
Comme tournent les sols devant la Vérité
Du jaune dans le vent quand le pollen peluche
À l’heure exacte et fait danser le rock aux ruches
Quand une abeille a mis son quartz à l’heure-miel
Quand le festin malin semble venir du ciel
Pour rire jaune enfin dans le supermarché
De toutes les couleurs
Du rouge où que tu ailles
Le rouge de l’Amour quand l’Amour s’encanaille
Au bord de la folie dans la soie ou la paille
Quand il ne reste d’un instant que l’éternel
Quand grimpe dans ton ventre une bête superbe
La bave aux dents et le reste comme une gerbe
Et qui s’épanouit comme de l’Autre monde
À raconter plus tard l’éternelle seconde
Qui n’en finit jamais de couler dans le ciel

De toutes les couleurs
Du noir comme un habit
Du noir pour ton amour du noir pour tes amis
Avec un peu de rêve au bout en noir aussi
Et puis teindre du rouge au noir les thermidors
Quand Dieu boira le coup avec tous tes copains
Quand les Maîtres n’auront plus qu’un bout de sapin
Quand ils auront appris à se tenir debout
Avant de se coucher pour tirer quelques coups
Et sans doute les quat’ cents coups avec la mort