Léo Ferré
Je t’aime ’81
Quand y a la mer et puis les ch’vaux
Qui font des tours comme au ciné
Mais qu’ dans tes bras c’est bien plus beau
Quand y a la mer et puis les ch’vaux

Quand la raison n’a plus raison
Et qu’ nos yeux jouent à s’ renverser
Et qu’on n’ sait plus qui est l’ patron
Quand la raison n’a plus raison

Quand on rat’rait la fin du monde
Et qu’on vendrait l’éternité
Pour cette éternelle seconde
Quand on rat’rait la fin du monde

Quand le diable nous voit pâlir
Quand y a plus moyen d’ dessiner
La fleur d’amour qui va s’ouvrir
Quand le diable nous voit pâlir

Quand la machine a démarré
Et qu’on n’ sait plus bien où l’on est
Et qu’on attend c’ qui va s’ passer
Je t’aime !

***
Je t’aime pour ta voix pour tes yeux sur la nuit
Pour ces cris que tu cries du fond des oreillers
Et pour ce mouvement de la mer pour ta vie
Qui ressemble à la mer qui monte me noyer

Je t’aime pour ton ventre où je vais te chercher
Quand tu cherches des yeux la nuit qui se balance
À mon creux qui te creuse et d’où ma vie blessée
Coule comme un torrent dans le lit du silence

Je t’aime pour ta vigne où vendangent des fées
Et pour cette clairière où j’éclaire ma route
Que balisent tes seins durs comme deux galets
Que le flot de la nuit roule sur ma déroute

Je t’aime pour le sel qui tache ta vertu
Et qui fait un champ d’ombre où ma bouche repose
Pour ce je ne sais quoi dont ma lèvre têtue
S’entête à recouvrer le sens et puis la cause

Je t’aime pour ta gueule ouverte sur la nuit
Quand ta sève montant comme du fond des ères
Bouillonne dans ton ventre et que je te maudis
D’être à la fois ma sœur mon ange et ma Lumière