Léo Ferré
Écoute-moi
Écoute-moi, listen to me, ascolta me Lazare
Quand les pendules sonneront leurs voix stellaires
Et que les boulevards traîneront plus par terre
Tu pourras te lever dans ce siècle bizarre

Moi qui vendais des Paris-Soir à Babylone
Quand les avions à réaction avaient des plumes
Et gueulaient des chants doux comme un concert de brume
Sur cet Orient avec leurs gorges microphones

Tant que j'aurai le souffle et l'encre dans ma rue
Et que le vent du nord ouvrira mes éponges
Il régnera chez moi comme une mer têtue
Qui me tiendra la main à la marée des songes

Qui dira la passion du corton à la messe ?
Cette rouge chanson plus rouge que le sang
Qui dira la virginité de nos caresses
Quand il y passerait Jésus entre nos dents ?

Rien n'est beau qu'un matin laïc dans la brume
Alors que le soleil est encore au dortoir
Et que la gaze dans la plaine se consume
Comme un rictus d'encens quand s'étroue l'encensoir

Je vis dès aujourd'hui je suis mort dans la cire
Ma voix microsillonne une terre ignorée
On me lit n'importe où à l'heure du délire
À l'ombre d'un juke-box où bourgeonnent des fées
Dans l'azur en prison vautré sous la mémoire
Maldoror d'une main et Sade dans le froc
Je suis en or galvanoplaste et je m'égare
Sous la tête diamant d'un phonographe toc

Ma voix dans quelque temps sous la lune en plastique
Quand ma carcasse présumée aura fané
Et que des Roméos sur les places publiques
Tendront complaisamment leur perche aux chats nichés

Ma voix les bercera dans des berceaux de passe
Niche-toi mon copain et perches-y ton bouc
Moi le berger perdu qui renifle la trace
De mes brebis rasées de frais pour le new look

La vie est un chaland où meurent des rengaines
Les larmes sont les flots, la peine le roulis
Quelquefois le bonheur invente des misaines
À ce rafiot qui s'envoilure alors et plie