Léo Ferré
Art poétique
Poème de Verlaine - 1874 -

De la musique avant toute chose
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose

Il faut aussi que tu n'ailles point
Choisir tes mots sans quelque méprise
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l'Indécis au Précis se joint

C'est des beaux yeux derrière des voiles
C'est le grand jour tremblant de midi
C'est, par un ciel d'automne attiédi
Le bleu fouillis des claires étoiles!

Car nous voulons la Nuance encore
Pas la Couleur, rien que la nuance!
Oh! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor!

Fuis du plus loin la Pointe assassine
L'Esprit cruel et le rire impur
Qui font pleurer les yeux de l'Azur
Et tout cet ail de basse cuisine!
Prends l'éloquence et tords-lui son cou!
Tu feras bien, en train d'énergie
De rendre un peu la Rime assagie
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où?

O qui dira les torts de la Rime!
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime?

De la musique encore et toujours!
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours

Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
Qui va fleurant la menthe et le thym...
Et tout le reste est littérature
Et tout le reste est littérature