Léo Ferré
Les bijoux
La très chère était nue et connaissant mon coeur
Elle n'avait gardé que ses bijoux sonores
Dont le riche attirail lui donnait l'air vainqueur
Qu'ont dans leurs jours heureux les esclaves des Mores*

Quand il jette en dansant son bruit vif et moqueur
Ce monde rayonnant de métal et de pierre
Me ravit en extase et j'aime à la fureur
Les choses où le son se mêle à la lumière

Elle était donc couchée et se laissait aimer
Et du haut du divan elle souriait d'aise
À mon amour profond et doux comme la mer
Qui vers elle montait comme vers sa falaise

Les yeux fixés sur moi comme un tigre dompté
D'un air vague et rêveur elle essayait des poses
Et la candeur unie à la lubricité
Donnait un charme neuf à ses métamorphoses

Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins
Polis comme de l'huile, onduleux comme un cygne
Passaient devant mes yeux clairvoyants et sereins
Et son ventre et ses seins, ces grappes de ma vigne

S'avançaient, plus câlins que les Anges du mal
Pour troubler le repos où mon âme était mise
Et pour la déranger du rocher de cristal
Où, calme et solitaire, elle s'était assise
Je croyais voir unis par un nouveau dessin
Les hanches de l'Antiope au buste d'un imberbe
Tant sa taille faisait ressortir son bassin
Sur ce teint fauve et brun le fard était superbe !

Et la lampe s'étant résignée à mourir
Comme le foyer seul illuminait la chambre
Chaque fois qu'il poussait un flamboyant soupir
Il inondait de sang cette peau couleur d'ambre !